Les bois odorants (partie 1) : des parfums et des huiles essentielles
L’arbre, cet inconnu
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Avant de pousser la porte du monde fascinant et mystérieux des bois odorants, arrêtons-nous quelques instants sur le seuil de la porte entrebâillée. Avant de pénétrer dans la salle commune, posons-nous la question : en quoi un arbre est-il si différent de nous ? Est-ce son immobilité apparente qui nous trouble ? Son autre conception du temps ? Sa vie s’étale sur des siècles parfois des millénaires. Un hêtre vit 400 ans, un olivier 2 000 ans. La pousse des branches, des feuilles semblent obéir à un rapport au temps différent du nôtre.
Pourtant l’arbre ressent la douleur, réagit à une agression. Ainsi le bois d’agar sécrète-t-il une résine pour se défendre d’une attaque physique ou parasitaire. L’arbre mémorise, communique avec ses congénères en envoyant des messages d’alerte, se montrant ainsi solidaire. L’arbre crée des relations avec des champignons, formant ainsi un dense réseau souterrain prolongeant les racines de l’arbre ; ces racines dont les extrémités sont capables d’émettre des signaux identiques à ceux provenant des neurones de cerveaux animaux.
Mais là encore le rapport au temps diffère : si le temps de réaction est bref dans le monde animal, le temps de traitement des informations est lent dans le monde végétal. S’il y a une différence c’est plutôt une question d’échelle.
Même désir de transmettre aux générations suivantes, même désir de mourir dans la dignité, de laisser sa trace sur des sols intacts.
L’arbre se veut discret mais a un rapport intime avec la mémoire : la sienne, celle de son environnement. L’homme tout à son pouvoir ferait bien de retrouver ses aptitudes à se souvenir, se replacer dans le temps long. Tant dans notre société moderne l’oubli est rapide et prégnant.
Les bois odorants ou la quintessence du souvenir
« Un parfum est la forme la plus intense du souvenir. Le moindre sillage d’une fragrance connue nous promène sur les ailes du souvenir, tournées vers la passé, les narines palpitantes, le cœur en émoi. »
Jean-Paul Guerlain
L’arbre, cet être vivant, contribue à l’élaboration de matières végétales parmi les plus raffinées que nous connaissons. Les bois odorants ou les arbres à parfums sont à l’origine d’une large palette de senteurs issues de matières premières diverses : fleurs, feuilles, écorces, fèves aromatiques de fruits, bourgeons, graines, bois, gommes résines. Chacun va distiller une odeur qui lui est propre donnant naissance à un paysage olfactif. Différentes techniques seront utilisées pour obtenir les concrètes, les résinoïdes, les absolues, les hydrolats et les huiles essentielles.
Petit rappel sur les procédés d’extraction avant d’aller plus loin :
– L’enfleurage est basé sur la capacité des corps gras à absorber, à froid ou à chaud, les fragrances des fleurs dès la cueillette. La graisse saturée de parfum est ensuite lavée après 24 à 72 heures à l’alcool éthylique dont l’évaporation donne une absolue (ex : le jasmin, la rose).
– La distillation ou l’entrainement à la vapeur d’eau : permet d’obtenir par différenciation des densités les hydrolats et les huiles essentielles dans un essencier (ex : le bois de santal).
– L’extraction par des solvants organiques volatils (les plus utilisés sont l’hexane et l’éther éthylique) consiste à procéder à une macération de la matière végétale, suivie d’une filtration et d’une concentration sous vide afin de recueillir une masse solide visqueuse appelée concrète pour les fleurs et résinoïde pour les gommes, les baumes (ex : du Pérou, de Tolu) et les oléorésines. La masse est ensuite débarrassée de ses cires et donne l’absolue (ex : le mimosa).
– L’expression est utilisée pour recueillir l’essence à partir des zestes des hespéridés ou agrumes.
– L’incision ou le gemmage enfin se pratique par exemple sur les arbres à encens qui permet de libérer une résine appelée oliban.
Des bois et des écorces :
Santal, Bois de Rose, Cannelier et Cèdres
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Le bois de Santal
Le vrai santal ou santal de Mysore (Santalum album) pousse dans le Sud-Est asiatique, en particulier en Inde dans la province de Mysore. C’est un petit arbre de 8 à 10 mètres qui serait originaire d’Australie, comme toutes les espèces de santal. Il est menacé car fait l’objet d’abattage inconsidéré. Compte tenu de son coût, il existe de fréquentes falsifications : l’huile essentielle de Santal blanc des Indes est couramment fraudée par coupage avec du Santal d’Australie.
L’essence de bois de Santal est utilisée en médecine, elle contient des sesquiterpénols (santalol) et des sesquiterpènes (santalène).
Elle est apaisante et calmante mais présente des propriétés oestrogen-like, prudence donc en cas de cancers œstrogèno-dépendants.
En parfumerie, on utilise des bois âgés d’au moins 30 ans. Les parfums de type boisé sont construits autour de 4 notes principales : celles, chaudes et sensuelles, du patchouli et du santal, et celles, plus sèches, du bois de cèdre et du vétiver.
Le bois de Rose (Aniba rosaeodora var. amazonica)
Le bois de Rose est un arbre rare de la famille des Lauraceæ, des forêts humides de l’Amazonie (Brésil, Guyane française). L’arbre qui peut atteindre 40 mètres de haut a une croissance lente. L’écorce et le cœur du bois sont rouges. Le bois de Rose brésilien ayant fait l’objet d’une exploitation exagérée est en voie de disparition.
Il ne faut pas le confondre avec le bois de rose des ébénistes, issu d’un palissandre, dont la beauté est donnée par des veines rosées très marquées.
L’huile essentielle présente dans l’ensemble de ses organes le protège contre les attaques d’insectes. Les graines constituent un met prisé par les animaux, ce qui contribue à son faible taux de germination mais aussi à sa dissémination.
Elle contient principalement du linalol (sous ses deux formes isomères) mais aussi de l’α terpinéol et du géraniol. Le linalol, sous sa forme lévogyre est majoritaire au sein du tronc conférant une note de lavande, légèrement boisée, rosée et poivrée à l’huile essentielle qui en est issue. Sous sa forme dextrogyre au sein des feuilles, le linalol confère à l’huile essentielle une odeur sucrée et acidulée, prisée par les parfumeurs.
L’essence utilisée en aromathérapie est obtenue par distillation des copeaux.
L’huile essentielle possède des propriétés antibactériennes et antivirales puissantes. Elle est aussi fongicide et antiparasitaire et peut être utilisée comme régénératrice tissulaire.
Sa tolérance cutanée est excellente.
Le Cannelier
Le Cannelier est un arbre toujours vert de 5 à 10 mètres de haut. Les plus réputés sont le cannelier de Ceylan (Cinnamomun zeylanivum) et le Cannelier de Chine (Cinnamomum cassia) dont les écorces sont plus appréciées que celle des autres espèces. L’écorce de l’arbre retirée a tendance à s’enrouler sur elle-même au séchage d’où le nom de cannelle (tube). Par distillation à la vapeur d’eau on obtient à partir de l’écorce une essence jaune pâle à odeur chaude, épicée riche en aldéhydes aromatiques et en phénols.
L’huile essentielle est un anti-infectieux puissant mais d’un emploi difficile à cause de sa dermocausticité. Son utilisation par voie externe est possible en dilution jusqu’à 20% dans une huile végétale.
L’huile essentielle qui contient des coumarines est anticoagulante.
Les Cèdres
La dénomination cèdre peut être trompeuse car elle recouvre les vrais et les faux cèdres, botaniquement, géographiquement et chimiquement différents.
Les vrais cèdres aux bois fortement odorants comprennent le cèdre de l’Atlas (Cedrus atlantica), le cèdre du Liban (Cedrus libani) qui produit par distillation une huile essentielle dont l’odeur est un peu acide.
Le cèdre de Virginie des parfumeurs est un faux cèdre du genre Juniperus. Le bois sous forme de copeaux à forte odeur de cèdre est distillé pour donner une essence de bois de cèdre à odeur douce et suave.
Les huiles essentielles obtenues à partir des bois contiennent des sesquiterpénoïdes, des alcools et des cétones.
L’huile essentielle est un décongestionnant veineux, lymphatique et prostatique, elle est aussi lipolytique, désinfiltrante et cicatrisante tissulaire.
(à suivre)
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Magnifique article! Une question qui a énormément intéressé les Anciens, est: « d’où viennent toutes ces vertus et puissances, tant dans les végétaux, les minéraux, que les animaux? » Est-ce du ciel?, Est-ce de la terre? Chacun des deux, sans l’autre, semble vide. Dès qu’il y a contact, et en rapport avec la frappe perpendiculaire du soleil au point vernal, il se passe quelque chose. Cela, aucun savant moderne ne l’a trouvé. Mais on essaie de faire croire que les Anciens non plus. Or, personnellement, je suis sûr du contraire. Voilà pourquoi il faut lire ces auteurs si intéressants et si oubliés aujourd’hui.
J’ai déjà signalé, à ce propos, les éditions Beya qui commencent à être très connues. Mais il y en a aussi beaucoup d’autres, qui publient d’admirables auteurs.
Peu à peu, et grâce aussi à l’évolution de la science, nous commençons à comprendre que les anciens avaient une vision juste sur le monde, sur notre place entre le Ciel et la Terre, et sur les liens indéfectibles entre toutes les formes de vie. Et heureusement, comme vous dites, de plus en plus de maisons d’édition s’intéressent à des textes moins conventionnels et plus ouverts.
Pr S. Feye, oui, les Anciens en savaient bien plus que ce que l’on veut nous faire croire. Quelqu’un qui s’est beaucoup occupé des plantes (parmi bien d’autres choses) est Paracelse.
Un texte philosophique de haute qualité qu’on ne peut que féliciter. Beau ! Je partage votre article Alina.
« L’arbre se veut discret mais a un rapport intime avec la mémoire : la sienne, celle de son environnement. L’homme tout à son pouvoir ferait bien de retrouver ses aptitudes à se souvenir, se replacer dans le temps long. Tant dans notre société moderne l’oubli est rapide et prégnant… »
Merci beaucoup Merlin,
Je pense profondément que ce qu’on appelle le règne minéral, végétal, animal…, le microcosme et le macrocosme… ne sont que des facettes du grand corps qu’est la Vie.