Distillation d'une plante aromatique

Dioxyde de carbone supercritique versus méthodes traditionnelles d’extraction des huiles essentielles

Comparer les méthodes d’extraction traditionnelles et les avancées technologiques récentes revient à opposer une fois de plus modernité et tradition. Selon la posture que nous adoptons – celle du chimiste ou celle de l’intuitif selon Koestler (1) – tel procédé semblera réunir la totalité des composants de l’huile aromatique ou tel autre maintenir l’information portée par l’huile essentielle.
Nous verrons qu’il s’agit de réintégrer le meilleur de la tradition et de la modernité pour en écarter le pire (2).

 

Savoir-faire et modélisation mathématique sont-ils conciliables sans remettre en cause le paradigme dominant ?

Je ne reviendrais pas sur les méthodes traditionnelles d’extraction des huiles essentielles (distillation, expression à froid ou enfleurage).
Notons que les pratiques suivantes devraient être communément admises :

  • L’utilisation recommandée d’un alambic de 600 à 1000 litres en cuivre ou en inox.
  • Le feu nu est à éviter.
  • La qualité de l’eau qui sert à l’entrainement des substances volatiles est un critère important.
  • Quant à la vapeur d’eau, elle doit être sèche et non mouillée sauf si la plante est lignifiée et présente des tissus durs. En outre, une vapeur mouillée provoque une altération de la composition de l’huile essentielle (hydrolyse des esters en alcools et acides).

Tout producteur devrait pouvoir répondre à ces 3 questions simples :

  • Quel est son biotope ?
  • D’où proviennent les graines qu’il utilise, s’il est producteur de plantes aromatiques ?
  • Quel son mode d’extraction ? Et en particulier utilise-t-il l’une de ces 2 techniques : CO2 supercritique ou cryobroyage.

L’aromathérapie connaît aujourd’hui en fort engouement, la tentation est grande pour des raisons connues de tous de se soigner de façon naturelle ou alternative. Il n’est pas certain que les cultures traditionnelles de plantes aromatiques et les procédés d’extraction habituels puissent permettre de répondre à la forte demande. Il en résulte la mise en place de cultures intensives, de protocoles présentés comme plus respectueux de l’environnement ou mieux adaptés afin de réduire les risques pour la santé. L’industrie doit satisfaire la demande économique tout en restant compétitive. Toute approche verte ou d’éco-extraction doit être examinée avec circonspection.
L’aromathérapie industrielle et les nouvelles technologies privilégient certes le quantitatif sur le qualitatif mais l’apport de ces procédés n’est pas à rejeter d’emblée.

Nous essaierons de répondre dans cet article deux questions :

  • L’utilisation de dioxyde carbone à l’état supercritique est-il une nouvelle technologie dite verte ?
  • Ce procédé permet-il d’aboutir à un produit de haute qualité ?

 

1. Extraction par un fluide supercritique

 

Le diagramme de phase pression-température (P, T) d’un corps pur présente les différents états de la matière (solide, liquide et gazeux) en fonction de la pression et de la température. Les domaines de ces trois états sont délimités par les courbes d’équilibre (solide-liquide, liquide-gazeux, gazeux-solide). Tout corps pur possède un point critique correspondant à une pression et une température données. Un fluide est dit à l’état supercritique lorsqu‘il est chauffé au-delà de sa température critique et lorsqu’il est comprimé au-dessus de sa pression critique.

Le comportement d’un fluide supercritique est intermédiaire entre l’état liquide et l’état gazeux :

  • masse volumique élevée (comme un liquide) : le pouvoir solvant dépend exponentiellement de la masse volumique,
  • coefficient de diffusivité intermédiaire : la diffusivité est plus élevée que celle d’un liquide,
  • viscosité faible (comme un gaz) qui permet le transfert de substances grâce à une meilleure pénétration dans la plante.

Dans cet état (à 31.1°C et 73.8 bar), le CO2 possède de remarquables propriétés de solubilisation des substances organiques apolaires et de faibles masses moléculaires.

Etat supercritique d'un corps pur

Etat supercritique d’un corps pur 

 

Avantages et Inconvénients du CO2 supercritique par rapport aux autres fluides supercritiques
Le CO2 supercritique présente une faible Tc, il est non inflammable, non toxique, inerte vis-à-vis d’un composé réactif. Enfin, il est disponible en abondance et à moindre coût. Il présente une faible polarité à pressions très élevées, il est parfois nécessaire d’ajouter un co-solvant polaire.
L’appareillage est coûteux.
L’accès du CO2 dans la plante peut être particulièrement difficile selon la structure des particules végétales et la localisation des substances naturelles dans ces particules. Un pré-broyage est nécessaire pour détruire les cellules végétales.

 

2. Extraction conventionnelle vs CO2 supercritique

 

Distillation

Dans une extraction conventionnelle, les paramètres pris en compte sont :

  • le temps: la cinétique d’extraction dépend de la nature du substrat végétal, de la localisation et de la nature des sites producteurs d’huile essentielle ; la distillation sera douce, lente et aussi complète que possible,
  • le débit de condensation : c’est à dire le flux de vapeur sortant du ballon chauffé,
  • l’effet du rapport eau/matière végétale sèche (ou fraîche).

La distillation se fait à la pression atmosphérique, à une température un peu inférieure à 100°C.

 

Avec le CO2 supercritique

La température et la pression sont déterminantes. L’opération est menée sur une plante sèche et broyée. Le broyage déstructure la matière et peut entraîner la perte de composants.

Le temps d’extraction est plus court (quelques minutes au lieu de quelques heures).
L’augmentation de la pression augmente le rendement global mais ces pressions élevées favorisent l’extraction de composés lourds (lipides ou cires), la sélectivité de l’extraction des fractions volatiles (HE CO2) est favorisée par une pression d’extraction peu élevée (90 bar).
Il est plus difficile de prédire l’effet de la température (risque de dégradation à une haute température).
L’utilisation de co-solvants polaires (éthanol) permet de pallier à la faible polarité du CO2.
Enfin, le débit du CO2 est à prendre en compte.

 

Comparaison

L’extraction par CO2 supercritique permet d’extraire en un temps court les fractions volatiles et non volatiles. Les rendements sont plus élevés.
Si nous comparons les pourcentages respectifs des différents composants de l’huile essentielle dans sa fraction volatile, les extraits obtenus par distillation sont plus riches en terpènes (monoterpènes et sesquiterpènes oxygénés ou non) et dérivés phénoliques.
En revanche, les propriétés antioxydantes de certaines huiles essentielles semblent plus importantes dans le cas d’une extraction par CO2 supercritique.

Selon Pierre Franchomme (3), avantages et inconvénients des deux méthodes d’extraction pourraient se résumer de la façon suivante :

CO2 supercritique : authenticité, sélectivité, rapidité, sécurité, pureté et stabilité. La composition de l’huile essentielle est complète, non dénaturée. Il est possible d’obtenir sélectivement un extrait lipophile total (huile aromatique) ou la fraction volatile (huile essentielle). La production est rapide, elle se fait à moindre coût énergétique sans utiliser de solvant toxique. Mais le procédé est difficilement applicable sur une plante fraîche, l’équipement est coûteux, l’huile aromatique n’est pas diffusable.

Méthode traditionnelle : procédé plus simple, l’appareillage est peu onéreux, la production est possible sur site. L’huile serait pauvre en notes de tête et en notes de queue, voire dénaturée par la vapeur d’eau chauffée à 100 °C et l’oxygène. La présence d’artefacts est possible par oxydations, isomérisations ou hydrolyse des esters.

 

3. Conclusions

 

Si on se place sur le strict plan de la relation structure/activité
L’extraction par CO2 supercritique garantit une réelle authenticité. Il est en outre possible de réaliser une sélectivité entre HA et HE. Le totum de la plante est accessible : note de tête et note de queue perdue par distillation, absence de dénaturation.
Dans le contexte actuel et afin de répondre à la demande, l’industrie se parant de nouvelles vertus (chimie verte, développement durable) et s’appuyant sur les rendements obtenus avec le CO2 supercritique, se tournera avec l’utilisation des nouvelles technologies. Ces solutions alternatives semblent être les seules efficaces pour faire face aux défis de l’industrie moderne. La modélisation des processus d’extraction permet en outre d’optimiser le procédé afin de se rapprocher le plus possible d’un extrait complet.

 

Si on se place sur le plan informationnel
Des études menées au cours d’olfactions prolongées d’huiles essentielles obtenues par CO2 supercritique révèlent que la cohésion de la plante est altérée (4). La méthode semble intrusive : certes, elle permet d’extraire plus de composants de la plante mais l’unité, que l’on cherche à appréhender au cours d’une approche sensible ou phénoménologique, est détruite.
La distillation représente selon certains spécialistes des matières premières aromatiques un prolongement de ce que la plante réalise par elle-même et non une sidération de la matière végétale. Seule la distillation – qui reste un art délicat – permet en fin de compte de reconstituer parfaitement l’esprit de la plante.
La distillation est un procédé alchimique : elle permet la transmutation d’un végétal, d’un corps chimique, matériel, en remède aromatique, subtil, selon les principes de Paracelse. C’est un procédé noble et respectueux pour obtenir une huile essentielle notamment à basse pression. L’eau et le feu sont en jeu, à cela s’ajoute l’alambic traditionnellement en cuivre, un métal qui prend part à la distillation en conduisant la chaleur à la façon d’un gros chaudron.

 

La Salamandre, être élémentaire lié au feu

La Salamandre, être élémentaire lié au feu

Nous nous plaçons clairement à un autre niveau de compréhension de la plante qu’aucune modélisation mathématique n’appréhende.

Revenons, pour conclure, à notre adage : à savoir réintégrer le meilleur de la tradition et de la modernité pour en écarter le pire. Le pire serait d’oublier le savoir-faire des anciens, de produire en quantité et façon peu respectueuse de la Nature une huile de mauvaise qualité olfactive et thérapeutique (intrants, clonage vs biodiversité, fraudes, non-respect des sites sauvages), d’utiliser l’aromathérapie à la manière de l’allopathie (c’est à dire finalement se limiter à la relation structure activité) et de ne pas tenir compte de l’aspect informationnel (vibratoire ou énergétique) des huiles essentielles.

_______

  1. Arthur Koestler, « Les Somnambules »

Dans cet essai écrit en 1959 Koestler traite de l’histoire de l’astronomie jusqu’à Galilée. Il s’interroge sur la création scientifique. Les chercheurs assimilés à des somnambules tombent sur leurs découvertes en empruntant un chemin à l’aveugle.
Koestler critique la science moderne qui se serait trop éloignée de l’intuition pour s’enfermer dans un formalisme mathématique et une spécialisation qui conduisent à une impasse. Nous ne parvenons pas, par exemple, à faire cohabiter la théorie de la relativité qui s’applique à l’infiniment grand et celle de la mécanique quantique, pour l’infiniment petit. Nous n’arrivons pas à comprendre l’univers et sa formation. De la même façon, Galilée, Kepler et Newton se trouvaient entraver par la physique aristotélicienne (Nalini Anantharaman)

  1. Patrick Viveret : une satiété heureuse, un bien vivre sont à notre portée en réintégrant le meilleur de la tradition et de la modernité pour en écarter le pire.
  2. Pierre Franchomme, Daniel Penoël, « L’aromathérapie exactement »
  3. Christian Escriva, « Rencontrer les plantes », Éditions Amyris

 


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2 réponses
  1. ECOSMOSE
    ECOSMOSE dit :

    « La distillation n’est rien d’autre que l’art de séparer le subtil de l’épais et l’épais du subtil, de rendre le fragile ou destructible indestructible, la matière immatérielle, la physique spirituelle et le laid plus beau. » Hieronymus Brunschwig (1512).

    Merci pour vos articles Christophe & Alina

    Répondre
    • Alina
      Alina dit :

      Magnifique! C’est exactement ça, c’est le principe de l’alchimie, et les huiles essentielles permettent de communiquer avec l’essence, l’âme des plantes.
      Merci à vous

      Répondre

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